C’est fou ce qu’un Bip peut procurer comme émotions. On colle son oreille au récepteur, on porte l’antenne à bout de bras, on s’envoi cinquante décibels de grésillements dans les tympans, on stoppe sa respiration, et…et…rien. Un mirage auditif. Frustration. Désespoir. On se déplace de trente mètres, on écarte les lianes, les ronces, on escalade une termitière, on lève le bras encore plus haut, on oriente l’antenne dans toutes les directions possibles, et la VICTOIRE ! Le bip tant espéré se fait enfin entendre. Joie. Lointain, timide, incertain, mais il est là. On ne le lâche plus. On garde l’antenne orientée vers ce coin obscure de jungle, on avance de quelques mètres, et c’est bon, le bip gagne en confiance, s’affirme et on peut remonter à sa source. Cette fois-ci ce n’est plus un mirage, l’oreille est sûre d’elle, le bip existe, on le tient. Réduisant le « gain », on affine notre trajectoire, on s’approche de la cible. Après avoir gambadé quelques minutes à travers la forêt, le gain au minimum, l’oreille à nouveau collée au récepteur, on balaye le sol de l’antenne. Nos grandes foulées ont cédé la place à de petits pas précautionneux, et pour cause ! Le transmetteur, source émettrice du bip tant recherchée, est à moins d’un mètre, et celui-ci est caché quelque part sous nos pieds, dans un terrier ou entre les rochers peut-être, mais certainement logé dans le corps de notre sujet d’étude, un Naja kaouthia mâle de deux mètres. Un trou dans le sol, le bip est formel, la bête est là. Notre spécimen est un Cobra à Monocle et est aussi surnommé NAKAI014 par les intimes. Aussitôt sa position exacte relevée et entrée dans le GPS, on met les voiles à la recherche du bip suivant, celui de NASI015.

Deux fois par jour, nous traquons nos neuf cobras. Parfois on se contente d’un signal radio à une centaine de mètres de distance, d’autres fois, on doit trouver son trou et noter toutes les informations relatives à son habitat : le type de forêt dans lequel il se trouve, la température ambiante, du sol, la présence de prédateurs ou de proies éventuelles. Généralement, nos cobras sont bien au calme dans leur trou, mais il leur arrive souvent de partir en balade à l’improviste. Branle-bas de combat, on quadrille la jungle jusqu’à la nuit tombée avec nos antennes en espérant détecter ces bips tant espérés. Au plus grand dam de nos pieds fatigués, cela fait deux semaines que nous arpentons la forêt dans tous les sens à la recherche de notre cher NAKA14 qui semble s’être bien fait la malle…

Parmi nos sujets, il y a les  Naja kaouthia (Cobras à Monocle), mais aussi les Naja Siamensis (Cobras cracheur de venin Indochinois). Mortels, nous nous devons de porter pantalons et chaussures montantes. Les cobras royaux, de presque cinq mètres, eux, sont traqués et étudiés par une autre équipe mais sont aussi présents dans les environs. Finalement, il s’avère qu’on ne sait pas grand-chose sur ces bestioles. Comment choisissent-elles leur habitat, quelle est l’étendue de leur territoire, quelle est la fréquence et quelles sont les raisons de leurs déplacements ? Pourquoi certains se logent-ils sous les habitations des paisibles villageois, au bord d’une autoroute, ou pourquoi d’autres choisissent la tranquillité de la forêt ? A la Sakaerat Biosphere Reserve, c’est ce qu’on cherche à approfondir.

Au bout d’une route de dix kilomètres qui s’enfonce dans la forêt, la station de recherche de Sakaerat est bien plus grande que ce à quoi je m’attendais. Arrivant en scooter après deux jours de routes depuis Chiang Mai, je me retrouve entouré de bâtiments de deux étages, avec deux bus remplis d’étudiants de Bangkok en voyage d’étude. La station accueille plusieurs projets de recherche : en plus de celui concernant les cobras, il y a les spécialistes des chauves-souris, des macaques, des tortues, des oiseaux, il y a des étudiants en master, des doctorants, des chercheurs, des assistants, des rangers, des thaïs, des farangs… en tout, ça fait presque une cinquantaine de personne logeant dans toute sortes d’habitations éparpillées dans la végétation. La notre est une sorte de bungalow-cabane où les murs sont quasiment absents sauf autour des chambres. Dans des caisses posées sur nos étagères patientent quelques cobras, vipères arboricoles ou autres spécimens fraîchement capturés lors de nos virées nocturnes et qui attendent d’être identifiés, numérotés, puis relâchés.

Voilà en bref à quoi ressemble ce retour en Thaïlande…

Pour les amateurs de cartes postales c’est ici ;-)

William Gosselin
Sakaerat Environmental Research Station,
Udom Sab Subdistrict,
Wang Nam Khiao District,
Nakhon Ratchasima Province 30370
THAILAND